•  

    Joël Auxenfans. Peinture avec le temps. Projet pour le parc du château de Bussy Rabutin (61). 2002-2003. 

     

    Les tempêtes de 1999 et 2000 ont profondément modifié le paysage français, touché par des vents de 150 à 170 km/h. Du parc de Versailles à de nombreux autres sites, les séquelles lourdes de cette double tempête historique ont donné lieu à un travail de restauration qui a pu être fait intelligemment, ce ravage majeur fournissant l'occasion de partir  de nouveau d'une "tabula rasa" qui permettait parfois d'interroger les documents historiques pour être au plus près des authentiques créations du passé.

     

    Plus rarement, les destructions liées aux tempêtes de 1999-2000 ont été l'occasion de créer à partir du concept même de destruction, utilisant celle-ci comme instrument d'inspiration à la création. C'est ce que j'ai fait en partant rencontrer sur place le conservateur du château et du parc de Bussy Rabutin situé en Côte d'Or. 

     

    Ce qui frappait, par delà l'aspect de bijoux de ce château niché en contre bas d'un plateau, c'était l'ampleur des destructions provoqués par les vents des tempêtes. En fait, les bois du plateau, très densément peuplés de pins mal entretenus et trop proches entre eux, avait connu un véritable "chablis", terme utilisé, avant son sens servant à définir un type de terroir vinicole, pour caractériser un espace forestier troué par endroits de clairières, soit par des tempêtes, soit par des défrichements ponctuels et opportunistes en vue d'y établir des cultures.

     

    L'étendue des chablis du plateau de Bussy Rabutin, parfois long de plusieurs centaines de mètres, montrait que les courants du vent avaient littéralement "labouré" la forêt de sillons, comme une charrue laboure par endroits la terre, ouvrant l'espace et le livrant à de nouvelles potentialités. 

     

    À ce stade, lors de ma visite, ces potentialités étaient assez faibles, disons qu'il n'y avait pas d'évidents signes de rétablissement cohérent d'un couvert forestier autre que sauvage. Ces paysages de clairières sont entrés depuis plusieurs décennies dans le vocabulaire du paysagisme contemporain. La clairière, même laissée à elle-même, engendre une diversité de biotope, végétal ou animal, remarquable, et est considérée à part entière comme une possibilité à valoriser, même selon un semblant abandon. 

     

    Ma démarche, connaissant cette possibilité, voulait être autre, sans perdre la richesse qu'introduit l'ouverture dans un couvert trop dense. 

     

    je voulais d'abord aérer les bois de pins restants. Les rendre plus capables de se donner un nouveau développement plus étoffé, plus résistants à d'autre tempêtes, plus sains.

    Mais je voulais aussi travailler les "chablis". Les modeler, les moduler, les employer pour travailler de nouvelles perspectives, de nouveaux axes, de nouveaux jeux d'écrans, de nouvelles biodiversité expérimentales et jardinées. Il s'agissait aussi de se servir de ces trouées accidentelles pour générer des chemins qui passeraient de lieux fermés à lieux ouverts, qui serait des lignes d'appui pour d'autres lignes de plantations.

    C''est ainsi que le projet a développé un principe de trouées traversées de lignes de plantations instaurant une géométrie, apportant une rectitude à des espaces qui étaient complètement devenus le jeux du hasard de l'effet des courants de vents les plus dévastateurs de 1999. Une manière en somme de restituer la présence de ces courants d'air comme partie prenante du dessin assumé du projet dans sa nouvelle destinée, comme moyen de laisser parler l'histoire du site dans son futur développement.

     

    Bussy Rabutin, un travail sur la trouée, la percée, le chablis et les grandes longueurs

     

    Joël Auxenfans. Peinture avec le temps. Détail du plan du projet de plantation pour le parc du château de Bussy Rabutin. 2002-2003.

     

    Sur le dessin de détail ci-dessus, les lignes de plantation ne sont pas exhaustives, elles ne comblent pas totalement les vides qu'elles pourraient remplir. Elles adoptent un "bégaiement", comme un effet de perte d'information, qui au lieu de se vivre comme un manque, délivre un aspect de liberté rendue aux espaces traversés par celles-ci. L'autre effet est de dessiner des vides de prairies utilisables selon diverses échelles d'appropriation. On peut faire un match de foot improvisé en certaines clairières ainsi dessinées, comme on peut se retrouver dans l'intimité d'une famille ou d'un couple dans d'autres espaces ainsi dessinés en "creux". 

    La diversité des axes de plantation avait aussi vocation à prétendre mieux résister aux effets des tempêtes, manière de mieux offrir de déviation et d'amortissement à la provenance des rafales. Il est connu en effet qu'un défaut majeur des plantations "industrielles" des monocultures sylvicoles orientées en lignes parralèlles sur des hectares est d'offrir peu de résistances aux ouragans. Mon dispositif pouvait laisser espérer que le vent rencontre des alignements orientés de manière variables, qui échappent ainsi à des destructions trop uniformes et trop mécaniques. Ceci est à considérer bien sûr avec modestie, au vue de la puissance dévastatrice des éléments naturels.

    Enfin, cet effet d'alignements morcelés, interrompus, rompus, procédait d'une image interrogative donnée à la notion de jardin à la française, que l'on sait historiquement très parfaite, rigoureuse, avec ses arbres d'alignements impeccablement taillés et plantés au cordeau, sans la moindre défaillance. Ici la défaillance faisait principe de plantation. Elle donnait une grande liberté retrouvée, et permettait de jouer à nouveau avec le dit et le non dit, le creux et le plein, le parfait et l'imparfait, laissant entendre que nous autres humains qui voulons laisser des traces éternelles et prétendument supérieures aux formes de la nature, gagnerions à laisser au sein de nos travaux une forme d'acceptation de l'idée de destruction ou d'imperfection, comme on apprécie précisément dans les vestiges Romains par exemple, la relation dialectique entre la force des décisions de compositions initiales et la résonances que celles-ci prennent au sein de l'impression tout aussi puissante de chaos et de destruction à travers lesquelles  elles s'inscrivent avec le temps écoulé. 

     

    En somme, je voulais comme anticiper l'usure et l'érosion, pour que peut-être se manifeste un double processus, celui de la création et de la marque de l'artifice, et d'autre part les aléas de la vie, des hommes, de la nature et du temps. Rapprocher en somme le processus de l'artifice de celui de l'entropie qui s'ensuit invariablement lorsque qu'une marque non intrinsèque à l'immanence des évolutions de toutes choses dans le temps de la réalité, prétend s'affirmer quelque part en regardant et en s'inspirant d'un lieu.   

     

     

     

     

     


    votre commentaire
  • Joël Auxenfans. Le triangle, projet d'arboretum pour le parc de la Motte Tilly. 2003.

     

     

    Parmi les projets spontanés que j'ai proposés à divers interlocuteurs, il y a eu celui du château de La Motte Tilly en Champagne Ardenne. 

    Ce parc avait été sinistré par la tempête de 1999 - 2000. De nombreux arbres anciens avaient été couchés au sol. Une fois ces arbres dégagés, il restait un espace très disparate, avec quelques sujets de haute tige, d'autres plus bas, le tout sans grande cohérence ni lisibilité. Malgré des efforts récents de replantations d'arbres d'alignement le long des allées, les limites mêmes du parc semblaient effacées avec le temps.

    En cherchant sur le plan, j'ai retrouvé une géométrie : apparut ainsi un triangle presque parfaitement régulier. Il fallait repartir de cette forme très stricte en retraçant les chemins, et déterminer par elle un dispositif de trois faisceaux de plantations partant des trois pointes du triangle. 

    En posant le principe que chaque alignement de plants devaient toutefois laisser "passer" les divers autres alignements qu'il croiserait en provenance des autres faisceaux, on obtenait un mixte de continuité et de discontinuité. Les plants d'arbres existaient dès lors comme fragments de phrases hachées, déroulées comme du morse, sous forme de petits points espacés ou groupés selon qu'ils sont au croisement d'autres lignes de plantations ou non.

    L'autre parti suivait le premier : l'entretien, par débroussaillement, tonte des prairies, élagage des lignes de plants d'arbres, imposait de laisser de part et d'autre de chaque ligne de plantation un fuseau de vide qui devait être "respecté" par les autres lignes croisées. Ainsi un système de vides et de pleins, très fortement déterminé, inscrivait une logique spatiale toute longueur à chacun des sillons de plantation.

     

    La détermination générale avait alors plusieurs conséquences :

    A) chaque rangée d'arbres pouvait se voir dans toute sa longueur sans occultation, d'un bout à l'autre, sur plusieurs centaines de mètres. 

    B) cette percée du regard toute longueur pour chaque rangée d'arbres, se transformait en opacité complète ou quasi complète dès lors que le regard ne suivait plus une ligne mais se posait sur n'importe quel lieu de la plantation; une successions d'écrans plus ou moins larges se succédaient en profondeur. 

    C) chaque mouvement de n'importe quel visiteur pouvait être perçu à un moment ou un autre au gré des fuseaux de vision toute longueur qui entouraient chaque rangée de plants. 

    D) les mêmes passants disparaissaient aussitôt qu'il avançaient un peu plus dans la superposition des multiples couches de lignes fractionnées de plantations. 

     

    Ce système de déplacement du regard, alternant trouée et opacité, dans lequel les autres spectateurs servent d'échelle et d'indice à une scénographie discontinue aurait pu apporter une dimension théâtrale à ce "plateau". 

    La partie sud du projet disposait au contraire des lignes de multiples arbustes à fruits en éventail, toutes dirigées vers une clairière centrale. 

    Le schéma directeur du projet, pensé pour une plantation de petits plants forestiers de dizaines d'essences différentes, laissait les grands sujets rescapés de la tempête libres de continuer leur développement à une autre hauteur, créant ainsi deux "plafonds" destinés à termes à se rapprocher progressivement. 

    Ce projet n'ayant pas pu se réaliser faute de moyens de la part du château de La Motte Tilly, il servit à approfondir encore la réflexion sur l'espace et le temps avec les arbres.   

     

     

     

     


    votre commentaire
  • De 2002 à 2006, avant de pouvoir réaliser un véritable projet à La Garde-Freinet, j'ai fait de nombreuses recherches, en allant chaque fois prospecter des sites réels en demande possible de reboisement. 

    Le site de l'Argentière dans les  Hautes - Alpes, fut l'un de ceux-là. Comme plus tard pour La Garde-Freinet, j'avais personnellement vu l'incendie qui avait ravagé des hectares de forêts sur les flancs de montagne qui dominaient la commune de l'Argentière.

     

    Après avoir obtenu des plans lors d'une rencontre sur place d'un responsable de la mairie, j'ai étudié un site dans lequel la contrainte était de pouvoir laisser passer le troupeau d'un berger. Je me suis rappelé les "drayes", ces petits chemins sinueux à flanc de montagne que produisent les déplacement des troupeaux qui s'effectuent le plus souvent à la file indienne à plusieurs niveaux de hauteur dans la pente, j'ai donc conçu un principe de dessin qui à la fois respectait les courbes de niveaux mais laissait passer les cheminements des brebis. Pour autant, je n'oubliais pas d'ajouter des coupes feux pour éviter les départs d'incendies. Cela créait en même temps des trouées rectilignes qui donnaient de nouvelles vues à l'intérieur du projet, vues dans et hors du projet. 

     

    La mairie (déjà à l'époque) manquait des moyens de sa réalisation. Ce fut donc une étape de pérégrination et d'expérimentation de plus avant de produire un projet en vrai, sur un vrai sol et avec de vrais plants d'arbres. 

     

     

    L'utile comme principe ouvert

     

    Joël Auxenfans. Peintures avec le temps. Projet pour l'Argentière. 4 ha. 2005. 

     

     

    L'utile comme principe ouvert

     

    Joël Auxenfans. Peintures avec le temps. Projet pour l'Argentière. Insertion dans la montagne. le projet est en bas, au sud du massif. 4 ha. 2005. 

     

     

     


    votre commentaire
  • Alors que l’actualité ploie sous l’avalanche de nouvelles calamiteuses, révoltantes ou angoissantes, l’  « Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » écrit par des éminents spécialistes internationaux sous la direction de Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (Albin Michel 2013), nous apprend des choses surprenantes.

     

    Ainsi l’article de Marina Rustow, professeur-associée au département d’histoire à l’université John Hopkins de Baltimore (Etats-Unis), où elle également titulaire de la chaire Charlotte Bloomberg (…).

    On y découvre les relations des juifs avec les musulmans dans l’Orient islamique. «  L’islam a non seulement transformé le judaïsme, mais il lui a permis de s‘affirmer et de se transformer » (p.77). « L’arabe devait demeurer la principale langue vernaculaire juive jusqu’à la fin de l’époque médiévale  (p.88) ». « Transmettre un savoir par l’écrit constituait pour la mentalité juive une véritable révolution (p.89). »

    Le papier, inventé en chine au premier millénaire et en usage en Asie Centrale au début du VIIIème siècle, les Abbassides construisent leurs premiers moulins à papier dès le 8ème siècle afin de « produire le matériau indispensable à la bonne marche de leur administration. »

     

    On y apprend la découverte de centaines de milliers de pages de textes manuscrits juifs  conservés au Caire dans ce qu’on appelle une geniza. « Une geniza, ou plus exactement une « beit geniza », est  une pièce où l’on entrepose les textes en caractères hébraïques lorsque l’usure les a rendus inutilisables ou encore, dans le cas des documents, lorsque l’affaire qu’ils concernaient a été menée à son terme » (p.99)

     

    « Depuis Bagdad, le papier se diffusa vers l’ouest, s’imposant en Syrie et en Égypte au début du Xème siècle comme le support d’écriture préféré, tant pour un usage quotidien que pour les compositions savantes. Même l’Égypte, qui avait fabriqué du papyrus pendant des millénaires, finit par reléguer celui-ci au rang de papier d’emballage pour cesser enfin d’en fabriquer au XIIIème siècle. Du Xème siècle nous sont parvenus non seulement les premiers documents sur papier du monde islamique, mais aussi les plus anciens documents juifs préservés en quantité suffisamment importante pour qu’on puisse à partir d’eux reconstituer toute une société. Sur les trois cent mille folios retrouvés dans la geniza du Caire, qui courent de 950 à 1250, une minorité non négligeable, c’est-à-dire plus de quinze mille, consiste en lettres, contrats, dépositions, listes officielles, comptes, reçus et autres sources documentaires. La plupart sont sur papier, même si certains sont sur parchemin, comme les contrats de mariage (ketubot) ou de fiançailles, les lettres de divorce (gittin), ou encore certains type de contrats légaux de toutes sortes pour les musulmans. La geniza a mis au jour le rôle que jouait l’écrit dans la vie quotidienne : il n’était pas cantonné à la transmission et à l’enseignement d’œuvres littéraires mais était employé pour tout une gamme de transactions.

    Un type particulier de documents – les lettres – témoigne d’une infrastructure postale bien organisée à l’échelle de l’empire. Si les juifs communiquaient déjà par courrier à l’époque romaine, tout comme les païens et les chrétiens (que l’on songe aux Épîtres du Nouveau Testament), le réseau postal mis en place par les Omeyyades et largement développé par les Abbassides donna naissance à un maillage de routes, de relais, de caravansérails et de ports qui facilita la transport de personnes, d’objets et de communications écrites, et efficaces, d’un lieu à l’autre. » (p.89)

    « Bagdad, à son âge d’or, c’est-à-dire au tournant du Xème siècle, compta jusqu’à cinq cent mille âmes. (…) Bagdad s’affirma rapidement comme le lieu de résidence des savants les plus importants de l’époque. Les salons littéraires se multipliaient et une multitude de traductions du grec, du persan et du syriaque en arabe faisaient découvrir à un nouveau public les œuvres philosophiques et scientifiques de l’Antiquité. La vie culturelle était loin d’être exclusivement musulmane : s’il est vrai que Bagdad attirait les juristes et théologiens musulmans les plus réputés de l’empire, les chrétiens jouaient un rôle vital dans la traduction de l’héritage grec classique tandis que des juifs comptaient, dès le XIème siècle, parmi les pionniers du kalam ou raisonnement spéculatif. » (p.103-104)

     

    Ces lignes nous disent que loin de se réduire à la vision réductrice des esprits de haine intégriste qui polluent nos sociétés modernes, la coexistence et l’interaction des différentes confessions au service de l’intelligence commune agissaient à plein.

     

     

    D’autre part, ce long processus de coexistence entre diverses confessions religieuses ne serait pas complet s’il omettait la contribution à l’intelligence des choses – en particulier scientifique –par le courant philosophique non religieux, matérialiste. Sur ce lien http://glecointre.mnhn.fr/docs/068_Charbonnat-prefaceGL.pdf , écrit par le chercheur en sciences de l’évolution au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), Guillaume Lecointre http://glecointre.mnhn.fr/index.html, on appréhende bien le projet du livre de Pascal Charbonnat dans son livre Histoire des philosophies matérialistes (© Editions Syllepse, 2007, 650 pages www.syllepse.net).  

     

    Car s’il est exact que des savants et des sommités appartenant à diverses religions ont, pendant des siècles, alimenté de leur travail considérable le patrimoine de l’humanité de réflexions, d’exégèses et d’œuvres permettant de transmettre, par leur relecture des textes plus anciens mystiques ou philosophiques, une filiation réflexive d’une profondeur inimaginable, il est vrai également qu’une infinité de destinées de personnes dévouées, perspicaces, souvent géniales et héroïques ont contribué d’autre part à faire évoluer petit à petit les conditions de la vie sociale.

    C’est ce que l’on peut mesurer en consultant le « Maitron »  http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/ , qui réunit près de 150 000 notes biographiques de personnes très diverses qui ont joué un rôle, souvent de manière anonyme, dans le progrès social commun à tous les hommes en France et dans quelques autres pays en particulier l’Algérie. Ces gens n’accouraient pas à la cour des empereurs ou des puissants, mais combattaient plutôt la tyrannie en résistant là où ils se trouvaient, leur vie durant, et souvent au prix fort.

     

    En art, la question se pose en termes homologues : peut-on en rester à une conception cantonnant l’art au domaine de l’exposition d’œuvres interrogeant ou dérangeant un état du monde tout en se rangeant résolument du côté de la clientèle aisée ? C’est bien ce qui apparaît dans la mise en parallèle des deux discours d’un artiste français en vogue, Xavier Veilhan d’une part, et le jeune sociologue Nicolas Jounin http://culturebox.francetvinfo.fr/des-mots-de-minuit/511-nicolas-jounin-et-xavier-veilhan-loeil-et-loeil-socio-et-art-visuel-204066 . Aux expérimentations audacieuses sur le terrain social du sociologue répond, pour une fois, une impression de limitation des moyens de l’artiste au seul domaine de la relation privilégiée à des personnes de catégories privilégiées. Si l’ont met de côté le travail de commande publique s’effectuant tout de même sur la base d’une notoriété assurée conjointement par le marché et les institutions, le travail de l’artiste avancerait assez désarmé face  à la puissance financière, s’en remettant à ses propres outils pour intercéder une validité globale de la démarche.

     

    Même si j’apprécie la puissance de travail de cet ancien camarade de prépa que fut pour moi Xavier Veilhan, et surtout son incomparable capacité à s’entourer et à s’introduire, autres conditions d’un travail qui s’impose une place privilégiée, cela ne me semble pas nécessairement le positionnement le plus juste, même du point de vue de l’art. Je ne perçois pas particulièrement d’éléments dans cette production qui soient de nature à « ouvrir les yeux », à créer ce que Bourdieu appelle une « révolution symbolique » en parlant de Manet ou ce que Rancière analyse dans son essai sur Flaubert, surtout à l’attention des plus démunis en capital social et culturel. Je vois plutôt, sans méchanceté, une capacité à répondre parfaitement aux attentes de la hiérarchie institutionnelle du monde de l’art, relayée d’une autre capacité, à répondre cette fois, petits frémissements mis à part, aux attentes de valorisation de leur propre prestige de classe, des possédants les plus notables.

     

    Il serait pour moi au contraire intéressant de générer une relation un peu moins lubrifiée aux attentes des puissants. Je parle de ceux-là et de leurs agents que l’on retrouve en circuits fermés, dans les meilleures foires internationales ou dans les fondations, les vernissages prestigieux, où l’on reste exactement comme dans les quartiers riches étudiés par les Pinson Charlot  et maintenant par Nicolas Jounin, entre soi (étudiants et artistes en recherche de contacts de carrière mis à part). L’intégralité du reste de la population et surtout celle qui ploie sous la misère (un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté en France en 2013) est mise à l’écart de ces relations étincelantes, insolentes de richesses, pour des productions qui ont tout de produits de luxe, pour citer l’appel recopié dans le billet précédent intitulé « Choix ».

     

    Du dire au faire, il y a certes une distance qui n’est pas facile à franchir, surtout justement lorsque l’on doit se passer des soutiens de grands noms du business de l’art. Toutefois, c’est là je crois que se trouve un terrain d’action sur lequel l’art pourrait trouver un terrain de recherches peut-être moins brillantes, mais aussi, disons, moins portées à passer la brosse à reluire à un système obsolète et dangereux pour la société entière. 

     

     

     

     

     

    Lointain proche

     

    Joël Auxenfans. Projet de troisième bois pour Paris. Intégré au programme de la candidate Danielle Simonnet pour les élections municipales de 2014. http://www.daniellesimonnet.fr/joel-auxenfans-artiste-paysagiste/

     


    votre commentaire
  •  

     

     

    Tout à commencé en 1992, lorsque, travaillant dans un atelier situé dans la Beauce, j'ai pu me rendre compte de l'incroyable violence à laquelle était capable d'aboutir l'application des principes de productivité industrielle dans le paysage agricole. 

    En même temps, on entendait déjà les aberrations du modèle de l'agro business occidental qui obligeait, subventions publiques à l'appui, à geler des terres agricoles pour maintenir les cours des céréales ou d'autres productions considérées comme excédentaires par les milieux technocrates et financiers qui s'étaient déjà emparés de l'agriculture à des fins de profits.

    L'Afrique, soumise aux plans d'ajustement structurels qui détruisaient autant son agriculture que ses jeunes infrastructures sociales et culturelles (voir l'excellent film de Pasolini "Carnets pour une Orestie africaine" pour mesurer le développement intéressant atteint par des pays africains lors des premières décennies de leur indépendance, alors qu'ils n'étaient pas encore déjà repris par le champ d'influence néo colonial occidental qui les a replongé dans la ruine pour mieux piller les ressources en matières premières qui sont immenses), l'Afrique, donc, mourrait de faim, et pourtant, on ralentissait artificiellement la production agricole pour maintenir les cours en bourse élevés, totalement indifférent à la mort de millions de gens.

    En France, cela donnait ces " mises en jachères", par lesquelles on payait l'agriculteur à ne pas cultiver son champ. 

    Révolté par ces mesures purement spéculatives, j'ai pensé que les subventions aux mises en jachères pouvaient être pérennisées en plantant de gigantesques "temples forestiers" comprenant des multitudes d'essences diversifiées, selon des tracés géométriques monumentaux, énigmatiques, permettant la promenade, la fixation du gaz carbonique, la production de ressources en bois diversifiés pour des usages autant médicaux que pour l'ébénisterie et la menuiserie à grande échelle.  Cela servait aussi de protection des bords de villes contre les pollutions agricoles et constituait des emblèmes d'un esprit nouveau dans les relations des civilisations humaines à leurs environnements. 

    Ce programme était inaudible pour les chefs de service que je rencontrais, et encore plus pour les politiques, à l'affut de ce qui pourrait, à court terme, leur faire gagner une élection : de petits arbres, qui demandent des décennies pour croître, cela ne leur semblait pas assez rentable à court terme. 

    J'ai beaucoup peiné à convaincre les élus et administrations. Seul ou presque seul, le directeur d'un bureau d'étude central de l'Office National de Forêts (Sylvétude à l'époque), Jean François Grenet (mort depuis d'un cancer), m'a entièrement soutenu, affirmant qu'il était tout à fait possible de réaliser ce dessin d'artiste par des plantations d'arbres, comme le ferait un lissier d'après un carton de tapisserie. le hasard voulu qu'en 1994, je reçu une grande commande de tapisserie, tissée par 12 ateliers d'Aubusson et dirigé par le Mobilier national, mais en attendant, la "tapisserie avec des arbres" n'avançait guère. 

    Autant le ministère de l'environnement que celui de l'agriculture, autant les SAFER qui regroupent des terres agricoles, que les mairies, tous mes interlocuteurs étaient sans idée, sans ambition, sans compréhension des enjeux. J'arrivais "trop tôt", comme on me le dit alors sans détour. Cela m'a pris 15 ans environ pour obtenir mon premier projet à La Garde-Freinet, pour la colline de Miremer (8 ha), avec le soutien de la fondation de France, programme des nouveaux commanditaires et l'Institut pour la forêt méditerranéenne situé à Gardanne. Et encore, l'Office National des Forêts a joué un rôle très pervers en tentant de saboter le projet et de jouer contre sa réalisation par des tractations secrètes avec le maire de l'époque, un homme remarquable, André Werpin, président de l'association des communes forestières du Var. Il ne se laissa pas manipuler et sut maintenir le cap du projet jusqu'au bout, peu avant sa mort qui intervint deux ans plus tard.

    Toutefois, j'ai développé plusieurs version des projets de plantations qui auraient mesuré plusieurs kilomètres de longueur, avec des dizaines d'essences alignées selon des axes différents pour permettre de capter la luminosité et de résister aux vents. Ces dessins à la main, même si aucun projet n'en est sorti sur le terrain, ont servi à faire mûrir ma réflexion. Vingt deux ans plus tard, je reste convaincu que ce type de projet serait urgent et magnifiques à réaliser sur divers sites.

      

     

     

     

     

    Anciennes recherches

     

     

     

     

    Joël Auxenfans. Dessin d'une plantation monumentale de milliers d'arbres de dizaines d'essences diversifiées adaptées. Tracé régulateur.dessin sur papier calque. format A3. 1992 - 1996.

     

    Pour "accompagner" le projet, j'ai voulu réaliser des panneaux de marqueterie obéissant au même principe de variation des essences et des axes en disposant une quinzaine de types de bois, selon des sens du fil du bois variables, collés sur panneau, par un ébéniste expert travaillant à Colombes dans les Hauts de Seine, Xavier de Clerval. Manquant de moyens, je n'ai pu en réaliser qu'un seul sur les six que je m'étais promis de produire. 

     

    Anciennes recherches

    Joël Auxenfans. Panneau en marqueterie. 15 essences de bois. 50 x 80 x 2,5 cm. 1996. 

     

     

     

    Quelques années plus tard, j'ai repris le principe en l'adaptant à l'Arboretum de Chèvreloup dans les Yvelines. Cet arborétum, créé en 1974, possède une très belle collection d'arbres, mais n'est pas beaucoup visité. Mon projet de "Théâtre de verdure" proposait de réunir 87 essences d'arbres sous forme de petits plants forestiers, pour un projet se développant dans le temps, et accueillant dans un espace libre situé en son centre, des évènements culturels, invitation s de sculptures monumentales...

     

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Projet pour l'Arboretum de Chèvreloup. 87 essences d'arbres. 2,5 ha. 2002.

     

     

     

     

    Anciennes recherches

     

     

    Joël Auxenfans. Liste des 87 essences d'arbres du projet.  

     

    Le projet anticipait le développement inégal des arbres selon les essences auxquelles ils appartenaient. Après vingt ans, certains arbres seraient à couper pour laisser d'autres essences, prévues pour se développer encore, prendre de l'ambleur. et ce dispositif se succédait en plusieurs étapes, au travers des siècles.

     

     

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Première phase de croissance des plants d'arbres. Dessin. 2002.

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Deuxième phase de croissance des arbres. Dessin. 2002.

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Troisième phase de croissance des arbres. Dessin. 2002.

     

     

     

     

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Première phase de croissance des arbres. Dessin en perspective couleur. 2002.

     

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Deuxième phase de croissance des arbres. Dessin en perspective couleur. 2002.

    Anciennes recherches

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Troisième phase de croissance des arbres. Dessin en perspective couleur. 2002.

    Anciennes recherches

     

    Joël Auxenfans. "Théâtre de verdure". Implantation sur le site de l'arboretum. Plan. 2002.

     


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique