• Sculpter le maquis

     

     

    L’intérêt de sculpter réside dans le fait de retrancher. En fait, cet avis que l'on sait venir de Michel Ange s’applique surtout à l’art de la taille mais plus du tout, évidemment, à toutes les autres techniques qui comportent aussi la possibilité d’ajouter, comme en modelage, en assemblage, voir en accumulation ! En revanche, une grande part de l’intérêt de la sculpture réside dans le fait de créer avec les vides, qui peuvent acquérir autant de présence que les pleins de la matière.

    C’est d’ailleurs, tout métier d’artiste confondu, quelque chose de très présent en peinture ou en dessin : dessiner et peindre avec les vides, les manques, les couleurs rémanentes suggérées optiquement par contraste simultané au fond de la rétine.  

    Néanmoins cette question du dessin par les creux, les retraits de matière, peut se conjuguer avec l’apport, l’ajout, la disposition ultérieure, l’organisation et la prévision ou la pré disposition d’une programmation ultérieure. Autant dire que ces enjeux sur les retraits de matière en sculpture participent plus fondamentalement d’un projet presque économique sur le temps : comment créer une présence qui perdure avec de l’absence. Et en cela il est question de politique : gouverner des paramètres physiques et symboliques pour les associer dans un processus se développant dans le temps.

     

    C’est ainsi que je voudrais introduire le projet d’intervention sur un fragment de maquis dans le village de Marato en Corse, lors d’une résidence d’artiste en 2005.

     

    Sculpter le maquis

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Avant le projet, le maquis menace d'engloutir le site de la résidence d'artiste de Marato. 

     

     

    Cette invitation m’a été faite par Gabrielle Vitte, directrice de l’association ARTCO, et élue à la culture du petit village de Marato, situé dans les hauteurs proches de Ajaccio. Ayant participé sur place l’année précédente à la réalisation d’une pièce de l’artiste Alexandre Perigot (http://www.alexandreperigot.com/bio.html   et programme des nouveaux Commanditaires http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/25/165/le-café-des-sports ) sur le terrain en parvis d’une ancienne petite école de village, je lui avait alors fait observer que l’emplacement même du lieu culturel qu’elle avait su créer, risquait sous peu d’être complètement envahi par le maquis.

     

    Si une lutte incessante existe en beaucoup de lieux entre les activités humaines et les puissances naturelles, ce rapport de force est en effet visible particulièrement en Corse, ou la faible démographie rurale rend problématique le maintien d’une relative ouverture du paysage contre l’entropie inverse qui se referme parfois jusqu’à oppresser la vie quotidienne et le regard.  

     

    D’autre part, ma suggestion consistait dans le fait, en plus de libérer l’espace autour de ce petit lieu muséal de l’emprise de la forêt et des risques d’incendies, de créer de nouveaux espaces d’exposition pour des œuvres nouvelles d’artistes invités par la suite.

    C’est ainsi que je proposai à  Gabrielle Vitte de me laisser dessiner le maquis autour de son micro centre d’art, comme un sculpteur, en retirant des matériaux et en prévoyant des lieux nouveaux pour de l’exposition sous le maquis, sous la voute des arbres.

     

    Sculpter le maquis

     

     

     

    Sculpter le maquis

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Tout le projet réside dans la détermination d'un mouvement des regards et des corps sous le couvert végétal, au sein de la possibilité future laissée ouverte de nouvelles oeuvres d'artistes. 

     

     

    Je travaillais non seulement les trouées dans le maquis, les cheminements de la promenade dans ce maquis domestiqué, mais aussi les directions que pourrait y prendre le regard pour percevoir différents points de vue, et plus tard différentes œuvres parmi les arbres. Pour cela il fallait aussi relever le plafond général du sous-bois, qui en l’état, était obscur à force d’être impénétrable, constitué d’un entrelacs dense de bruyères géantes, d’arbres morts, de branches basses, de repousses spontanées, rendant à la fois impraticable pour la marche et le regard cet espace.

     

    S’étendant sur 400 m2, il ne s’agissait certes pas d’un grand terrain attenant à l’ancienne école. D’autre part, il y avait pour moi pour une certaine frustration dans cette mission, à devoir couper des morceaux d’arbres, au lieu d’en planter massivement comme je cherchais à le faire depuis de longues années (1992).  Néanmoins, il était intéressant de tailler à même la forêt, de lutter en corps à corps à coup de serpe et de scie, puis d’indiquer à des élagueurs, ce qui devait être fait que je ne pouvais faire. D’ailleurs, j’avais fini par déterminer quelques emplacements dans lesquels il serait utile de planter de jeunes plants d’arbres pour homogénéiser le couvert végétal, en faire une sorte de matière spatiale continue au sein de laquelle les retranchements pouvaient se remarquer comme des entités précises, perceptibles.

     

    Sculpter le maquis

     

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Le projet situe et nomme les arbres existants à conserver, ceux à ajouter, et place les cheminements en fonction d'esplanades pouvant accueillir des oeuvres future. 

     

     

    C’est ainsi qu’en organisant mon futur séjour à Marato, j’ai pensé à contacter Jean-Claude Gandré, directeur d’une école de formation professionnelle près de Sophia Antipolis, qui avait été intéressé par ma démarche. Il a accepté d’emmener une équipe en formation chez lui pour effectuer cet élagage en guise de travail de terrain.

     

     

    Sculpter le maquis

    Sculpter le maquis

    Sculpter le maquis

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Les équipes qui ont réalisé les élagages et les remodelages des terrains.  

     

     

    Mais, pour des raisons à la fois tenant au budget et au calendrier, il ne nous serait pas possible de travailler exactement au même moment. Je viendrais sur place d’abord, faisant le gros du débroussaillement et marquant les branches à élaguer, puis je lui laisserais le terrain libre ensuite pour qu’il fasse effectuer par ses stagiaires, les exercices d’élagages correspondant à mes indications. Il y avait aussi la création de retenues, de marches et de plateformes avec des moyens provenant des coupes de bois. Ainsi une économie générale, entre les coupes et les ajouts de retenues de terre en branchages et en rondins, s’organiserait sur l’espace du projet.

     

    Sculpter le maquis

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Marquage à la peinture des futurs élagages. 

     

    Sculpter le maquis

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Ici, les bois coupés sur les arbres sont ré employés pour constituer les sous bassement et les emmarchements de la promenade sous le maquis.

     

     

    Sculpter le maquis

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Plus d'une dizaine de mètres cube de matière végétale a été débarrassée du maquis pour préparer l'intervention des élagueurs.  

     

     

    Une particularité du rehaussement général du plafond du sous-bois consistait dans la sensation de voute créée par la pellicule que créait et interposait le feuillage entre l’espace sous la voute et l’espace extérieur. Au lieu qu’une épaisseur de matière végétale obstruait l’espace du sous-bois, le projet créait un vide sous une opercule assez fine, qui pouvait même faire relativement caisse de résonnance, à savoir que les sons provenant d’en bas pouvait ricocher à la sous face des feuilles de la canopée et revenir en écho. Hypothèse vraisemblable mais que je n’ai pu vérifier, n’étant pas revenu sur place depuis mon intervention et donc sans avoir pu apprécier sur place le travail des élagueurs autrement qu’en photographie.

     

    Sculpter le maquis

     

    Joël Auxenfans. "L'éclaircie". Marato, Corse. 2005. Hypothèse sonore sous la voute végétale débarrassée des branchages et broussailles. 

     

     

    En tout cas, le travail de débroussaillage fut effectué en deux semaines, et fut accompagné du marquage des branches à scier par des traces au rouleau de peinture. Ainsi je dessinais ce que devait devenir le sous bois, gagnant en moyenne quatre ou cinq mètres en plus, pour une véritable voute laissant un vide respirant et assainissant le couvert forestier, faisant prospérer la vision, les jeux de lumière et de pénombre, le jeu des perspectives que je traçais avec des piquets et des fils.

    Il fut ainsi question de penser la durée, l’espace, et une programmation future, bref des constituants de ce qui deviendra une caractéristique de mon travail futur, comme par exemple à Besançon pour la gare de Besançon Franche-Comté TGV en 2011 ou celui pour l’étude pour le RER E en 2014-2015.

     

    J’aurai l’occasion, j’espère, d’y revenir.    

     

     

     

     

     


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