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Par Joël Auxenfans le 8 Octobre 2014 à 17:17
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Un des premiers dessin du projet à partir des courbes de niveau de la colline. (2006).
On pourrait dire que le fait de dessiner des projets de plantation influe sur le dessin lui-même. Le fait de penser à des plants d'arbres, de tenir compte de ceux qui poussent déjà sur le site, de penser au vent, au climat, aux qualités inégales du sol qui accueille ces arbrisseaux, tout cela influe sur la "nature" du dessin. Les différentes formes de dessins qui suivent, toutes dessinées pour le même projet, et issues de séries de recherches bien plus nombreuses, montrent que la qualité du dessin dépend aussi du fond, du contenu de ce à quoi on consacre le dessin. Le fait de dessiner pour un grand reboisement sur une colline à forte valeur symbolique pour cette petite commune, donne à la question du dessin une résonance, une importance que ne donne pas un petit "délire subjectif" personnel. Il y a les inconvénients d'une écriture toute soucieuse de s'approcher au plus près d'une vraisemblance pour plus tard des faits et des espaces, pour réussir vraiment la plantation en vrai. Mais il y a l'intérêt d'un dessin qui s'il ne perd pas son exigence de sensibilité et de fidélité à l'idée recherchée, apporte toute son esthétique à l'éthique du projet.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 2. (2006).
Division du site en zones de différentes expositions au Mistral et au soleil. Il ressortait de cette approche que les terrains de la colline étaient généralement très peu favorables à une plantation mais qu'en acclimatant certaines essences très résistantes, on pourrait à ce titre faire un projet d'expérimentation préfigurant le changement climatique en cours. C'est ainsi qu'avec l'appui de l'arboretum d'Antibes, de l'INRA et de l'ONF, une liste de 80 essences dont 20 de chênes fut élaborée.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 3. (2006).
On voit clairement, sur ce dessin du début de la recherche, une tendance à l'idéalisation de cette colline, avec des verts tendres, des formes douces. En réalité, tout le travail a permis d'approcher un site particulièrement rude, et les dessins se sont progressivement adaptés à ce contexte.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 4. (2006).
Il fallait aussi tenir compte des arbres existants, qui avaient survécu à l'incendie de 2003. On les voit ici indiqués par des ronds verts plus gros, tandis qu'on voit les lignes , les segments de petits points correspondant aux petits plants forestiers, plantés par centaines, le long de lignes horizontales.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 5. (2006).
Une des nombreuses versions de dessin présentant la numérotation des lignes par essences. Le projet a par la suite été obligé de se concentrer sur des zones encore plus restreintes.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 6. (2006).
On voit bien dans cette version ultérieure, combien le projet a dû se rendre opportuniste, pour s'adapter aux mauvaises surprises qui se découvraient au fur et à mesure sur le site.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 7. (2006).
Sur ce dessin à l'aquarelle, j'ai restitué les deux niveaux de développement en coexistence, entre celui des arbres rescapés, adultes, et les petits plants forestiers du projet. On voit qu'était assumée dès le début que le projet ne serait pas quelque chose qui s'impose mais au contraire qui prend place parmi les choses déjà existantes.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 8. (2006). Dessin informatique de Margot Grygielewicz.
Ce jeu de deux niveaux de "plafond" des arbres, celui des petits (plantés) et celui de grands (rescapés), attendu que celui des petit est destiné à rattraper celui des grands, montre une dimension de temps du projet. Cette dimension est valorisé par le jeu des segments horizontaux qui tracent leur trajectoire parmi les arbres adultes qui sont répartis, eux, issus d'anciennes cultures abandonnées de chênes liège, de manière aléatoire.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 9. (2006). Dessin informatique de Margot Grygielewicz.
On a essayé d'anticiper par le dessin ce que donnerait le projet dans plusieurs années ou décennies, et aussi en regardant l'effet des changements de couleurs de feuillages à l'automne.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 10. (2006). Dessin informatique de Margot Grygielewicz.
Il y a quelque chose de presque "militaire" dans les alignements tels qu'ils apparaissent avec une écriture informatique. Toutefois, cela me rappelle la fin de Macbeth, lorsque le tyran est forcé de constater que la prédiction des sorcières se réalise sous ses yeux lorsqu'il voit la forêt "marcher" vers son château (en réalité, ce sont les troupes adverses qui en avançant, se camouflent avec des branches). Et puis le site est lui même tellement chaotique, et le projet a dû tellement s'adapter pour s'inscrire sur ce site austère, que l'on ne remarque absolument pas quelque chose de mécanique ou de raide dans l'implantation.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 11. (2006).
Il a fallu aussi penser au système d'arrosage des deux premières années, en déterminant le dessin et les longueurs des tuyaux d'arrosage qu'ont utilisé les élèves d'un IME situé dans une commune voisine.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Dessin 12. (2006).
Ce dessin a été réalisé après avoir paramétré précisément les points de l'ellipse et des emplacements des plantations avec GPS sur un dispositif cartographique issu de Google earth, grâce aux enseignants et aux élèves du lycée Léonard de Vinci d'Antibes.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". 2007. Chemin à flanc de colline tracé spécialement pour permettre une vue cinétique sur le pourtour et les environs. au lieu du maquis impénétrable qui existait avant et après l'incendie de 2003, le projet apporte des vues, des promenades, une attention au projet et au delà de lui-même.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". 2007. Chemin à flanc de colline. On aperçoit une qualité de sol sur ce versant Est qui aurait pu permettre de recevoir plus de plants s'il n'y avait eu la pente très forte qui posa de gros problèmes au conducteur de la pelleteuse chargé de creuser les fosses de plantation. Entre le manque de terre à certains endroits et l'excès de pente à d'autres, la plantation dû souvent renoncer à s'implanter.
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Par Joël Auxenfans le 8 Octobre 2014 à 16:29
Après mes trois blogs existants ( http://desformespolitiques.eklablog.fr/ , http://montrougemieuxsansmetton.eklablog.com/, http://objetsdunautretemps.eklablog.com/ ) ce quatrième blog met l’accent sur les questions que soulèvent des projets de grande envergure et qui trouvent le sens de leur développement dans le temps.
Joël Auxenfans. "Le ruban". Projet réalisé pour la gare de Besançon Franche-Comté TGV, avec le soutien de Réseau Ferré de France, Programme des Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France, Fonds Régional d'Art Contemporain de Franche-Comté. Photogramme issus du film "Le ruban" de Flavie Pinatel (2011).
C’est le cas du projet « Le ruban » réalisé pour la gare de Besançon Franche-Comté TGV en 2011-2012, et pour lequel un film documentaire a été réalisé en 2011 par la vidéaste Flavie Pinatel, aidé de Mariusz Grygielewiczpour le son et Steeve Calvo pour l’image. Ce film a reçu le soutien de la Région Franche-Comté et de l'Institut pour l'Image et le Multi Média (IRIMM). D'une durée de 17 minutes, il est depuis peu en ligne au lien suivant : https://vimeo.com/108165724 Mot de passe : pinatel.
Les questions soulevées par ce type d’œuvre dans l’espace public furent également abordées lors de la conférence le 19 octobre 2012 à l’école nationale supérieure d’art de Dijon, avec à mes côté Xavier Douroux, co-fondateur du Consortium à Dijon, un lieu majeur de la scène artistique, et médiateur pour le programme des nouveaux commanditaires de la fondation de France.
Elle sont à nouveau en jeu dans le nouveau projet artistique pour le chantier d'extension du RER E Eole entre Paris Saint-Lazare et Mantes la Jolie pour lequel la direction d'opération de RFF vient de me missioner.
Joël Auxenfans. Dessin en plan du "ruban". Gare de Besançon Franche-Comté TGV. 2010.
Joël Auxenfans. Le ruban. vue d'un détail de la réalisation longue de 450 mètres et large de 12 mètres. 2011-2012. (photo de Patrick Ginepro. 2014). On voit distinctement les deux phases de la plantation avec des plants de buis plus petits que d'autres, qui demandaient à être mis en production par le pépiniériste pendant un an avant d'être disponibles par dizaines de milliers. on aperçoit un affichage d'artiste du FRAC sur le panneau en bois de mélèze massif réalisé par le lycée du bois de Mouchard.
Joël Auxenfans. Le ruban. Vue d'une partie de la réalisation. (Photo de Patrick Ginepro. 2014)
Soit parce qu’ils sont constitué par des végétaux et donc actualisés en permanence par la croissance végétale, soit parce qu’il prennent place dans des espaces ayant une importance soit pratique soit symbolique pour la population, ces projets ont vocation à poser en même temps que la question de l’art (où peut-on faire de l’art ? Où l’art est-il le mieux à sa place ? ), celle du politique, au sens de ce rendez-vous collectif moralement obligatoire pour que chaque homme accomplisse pleinement ce qui est entendu par l’expression « une vie bonne » (Judith Butler « Qu’est-ce qu’une vie bonne ? éditions Manuel Payot 2014).
Un projet comme « Lignes de vue » réalisé sur huit hectares de forêt incendiée au sommet d’une colline très ancienne et importante pour l’identité d’un village – La Garde-Freinet – dans le Var, pose intrinsèquement des enjeux politiques : il faut d’abord prendre la mesure de ce que signifie l’abandon des espaces forestiers à une pseudo régénérescence naturelle qui n’est autre qu’un refus déguisé d’investissements publics dans la préservation de la biodiversité sylvicole et des espaces de sylvopastoralisme.
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Ligne de plants d'arbres de même essence à l'horizontale pour retenir les sols et accompagner le promeneur sur des cheminements horizontaux qui deviennent autant de terrasses de vue sur le site et les espaces environnants (Photo prise en 2009).
Ce sont des espaces ravagés, des morts à chaque incendie important, et un processus de mitage permanent des espaces forestiers par les lotissements des anciens espaces agricoles en friche ou par des infrastructures optimisant les déplacements toujours plus loin, toujours plus éprouvants pour les espaces, les ressources et les humains.
Dans ce projet, il fallut se parler, entre gens de milieux et d’horizons de travail différents. J’avais organisé sur sites, des rencontres informelles entre des pompiers, responsables de l’ONF, pépiniéristes, éleveurs d’ânes, artisans forestiers, élus, responsables du patrimoine, responsables du SIVOM, experts du conservatoire du littoral, pour confronter les points de vue sur la forêt et voir ensemble ce qui pouvait se dégager comme piste d’amélioration durable et humainement souhaitable des traitements appliqués à la forêt. C’est en faisant une synthèse qui m’était personnelle et ne perdait pas de vue l’artistique, que j’ai conçu, dans des conditions difficiles, le projet « Lignes de vues ».
Joël Auxenfans. "Lignes de vues". Extrait du film produit à l'occasion de l'étude. (2006-2007). Ces rencontres ont donné lieu à de grandes discussions sur l'enjeu, le coût, le sens, d'une forêt à forte dimension d'anthropisation, de suivi, d'entretien, de "culture" et de regard.
Ces visites, entre passionnés de forêts, villageois, experts, ont eu quelque chose d'une discussion politique au sens où tous les participants exprimaient volontairement ou non leur point de vue déterminé par leur place dans l' "organigramme" de la relation de la société à la forêt.
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