• Bussy Rabutin, un travail sur la trouée, la percée, le chablis et les grandes longueurs

     

    Joël Auxenfans. Peinture avec le temps. Projet pour le parc du château de Bussy Rabutin (61). 2002-2003. 

     

    Les tempêtes de 1999 et 2000 ont profondément modifié le paysage français, touché par des vents de 150 à 170 km/h. Du parc de Versailles à de nombreux autres sites, les séquelles lourdes de cette double tempête historique ont donné lieu à un travail de restauration qui a pu être fait intelligemment, ce ravage majeur fournissant l'occasion de partir  de nouveau d'une "tabula rasa" qui permettait parfois d'interroger les documents historiques pour être au plus près des authentiques créations du passé.

     

    Plus rarement, les destructions liées aux tempêtes de 1999-2000 ont été l'occasion de créer à partir du concept même de destruction, utilisant celle-ci comme instrument d'inspiration à la création. C'est ce que j'ai fait en partant rencontrer sur place le conservateur du château et du parc de Bussy Rabutin situé en Côte d'Or. 

     

    Ce qui frappait, par delà l'aspect de bijoux de ce château niché en contre bas d'un plateau, c'était l'ampleur des destructions provoqués par les vents des tempêtes. En fait, les bois du plateau, très densément peuplés de pins mal entretenus et trop proches entre eux, avait connu un véritable "chablis", terme utilisé, avant son sens servant à définir un type de terroir vinicole, pour caractériser un espace forestier troué par endroits de clairières, soit par des tempêtes, soit par des défrichements ponctuels et opportunistes en vue d'y établir des cultures.

     

    L'étendue des chablis du plateau de Bussy Rabutin, parfois long de plusieurs centaines de mètres, montrait que les courants du vent avaient littéralement "labouré" la forêt de sillons, comme une charrue laboure par endroits la terre, ouvrant l'espace et le livrant à de nouvelles potentialités. 

     

    À ce stade, lors de ma visite, ces potentialités étaient assez faibles, disons qu'il n'y avait pas d'évidents signes de rétablissement cohérent d'un couvert forestier autre que sauvage. Ces paysages de clairières sont entrés depuis plusieurs décennies dans le vocabulaire du paysagisme contemporain. La clairière, même laissée à elle-même, engendre une diversité de biotope, végétal ou animal, remarquable, et est considérée à part entière comme une possibilité à valoriser, même selon un semblant abandon. 

     

    Ma démarche, connaissant cette possibilité, voulait être autre, sans perdre la richesse qu'introduit l'ouverture dans un couvert trop dense. 

     

    je voulais d'abord aérer les bois de pins restants. Les rendre plus capables de se donner un nouveau développement plus étoffé, plus résistants à d'autre tempêtes, plus sains.

    Mais je voulais aussi travailler les "chablis". Les modeler, les moduler, les employer pour travailler de nouvelles perspectives, de nouveaux axes, de nouveaux jeux d'écrans, de nouvelles biodiversité expérimentales et jardinées. Il s'agissait aussi de se servir de ces trouées accidentelles pour générer des chemins qui passeraient de lieux fermés à lieux ouverts, qui serait des lignes d'appui pour d'autres lignes de plantations.

    C''est ainsi que le projet a développé un principe de trouées traversées de lignes de plantations instaurant une géométrie, apportant une rectitude à des espaces qui étaient complètement devenus le jeux du hasard de l'effet des courants de vents les plus dévastateurs de 1999. Une manière en somme de restituer la présence de ces courants d'air comme partie prenante du dessin assumé du projet dans sa nouvelle destinée, comme moyen de laisser parler l'histoire du site dans son futur développement.

     

    Bussy Rabutin, un travail sur la trouée, la percée, le chablis et les grandes longueurs

     

    Joël Auxenfans. Peinture avec le temps. Détail du plan du projet de plantation pour le parc du château de Bussy Rabutin. 2002-2003.

     

    Sur le dessin de détail ci-dessus, les lignes de plantation ne sont pas exhaustives, elles ne comblent pas totalement les vides qu'elles pourraient remplir. Elles adoptent un "bégaiement", comme un effet de perte d'information, qui au lieu de se vivre comme un manque, délivre un aspect de liberté rendue aux espaces traversés par celles-ci. L'autre effet est de dessiner des vides de prairies utilisables selon diverses échelles d'appropriation. On peut faire un match de foot improvisé en certaines clairières ainsi dessinées, comme on peut se retrouver dans l'intimité d'une famille ou d'un couple dans d'autres espaces ainsi dessinés en "creux". 

    La diversité des axes de plantation avait aussi vocation à prétendre mieux résister aux effets des tempêtes, manière de mieux offrir de déviation et d'amortissement à la provenance des rafales. Il est connu en effet qu'un défaut majeur des plantations "industrielles" des monocultures sylvicoles orientées en lignes parralèlles sur des hectares est d'offrir peu de résistances aux ouragans. Mon dispositif pouvait laisser espérer que le vent rencontre des alignements orientés de manière variables, qui échappent ainsi à des destructions trop uniformes et trop mécaniques. Ceci est à considérer bien sûr avec modestie, au vue de la puissance dévastatrice des éléments naturels.

    Enfin, cet effet d'alignements morcelés, interrompus, rompus, procédait d'une image interrogative donnée à la notion de jardin à la française, que l'on sait historiquement très parfaite, rigoureuse, avec ses arbres d'alignements impeccablement taillés et plantés au cordeau, sans la moindre défaillance. Ici la défaillance faisait principe de plantation. Elle donnait une grande liberté retrouvée, et permettait de jouer à nouveau avec le dit et le non dit, le creux et le plein, le parfait et l'imparfait, laissant entendre que nous autres humains qui voulons laisser des traces éternelles et prétendument supérieures aux formes de la nature, gagnerions à laisser au sein de nos travaux une forme d'acceptation de l'idée de destruction ou d'imperfection, comme on apprécie précisément dans les vestiges Romains par exemple, la relation dialectique entre la force des décisions de compositions initiales et la résonances que celles-ci prennent au sein de l'impression tout aussi puissante de chaos et de destruction à travers lesquelles  elles s'inscrivent avec le temps écoulé. 

     

    En somme, je voulais comme anticiper l'usure et l'érosion, pour que peut-être se manifeste un double processus, celui de la création et de la marque de l'artifice, et d'autre part les aléas de la vie, des hommes, de la nature et du temps. Rapprocher en somme le processus de l'artifice de celui de l'entropie qui s'ensuit invariablement lorsque qu'une marque non intrinsèque à l'immanence des évolutions de toutes choses dans le temps de la réalité, prétend s'affirmer quelque part en regardant et en s'inspirant d'un lieu.   

     

     

     

     

     


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